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modèle ; pour l’éducation des enfants, un modèle. Quelle tête ! quelle cervelle ! »

Sémiramis et Catherine à part, nul doute que la veuve Slotkine ne menât une vie très-heureuse. Sa famille, son entourage, elle-même, tout respirait le contentement du dedans et du dehors, l’agréable sérénité de la santé physique et morale. Jusqu’à quel point méritait-elle un semblable bonheur, c’est une autre question. Du reste, ces sortes de questions ne se posent guère que lorsqu’on est jeune. Tout dans ce monde, le bien et le mal, est donné à l’homme, non pas selon ses mérites, mais en vertu de je ne sais quelle loi encore ignorée, mais logique, que je ne me charge pas de préciser, bien qu’il me semble l’avoir quelquefois ressentie confusément.

J’avais pris des informations sur Evlampia auprès du juge de paix. Depuis sa disparition l’on était resté sans nouvelles à son sujet ; on la croyait morte. Pourtant, je suis convaincu que je l’ai rencontrée ; voici dans quelles circonstances. Environ quatre ans après ma dernière entrevue avec Anna au sujet des terres communes, je m’étais établi pour tout l’été à Mourino, petit village des environs de Saint-Pétersbourg, bien connu comme lieu de villégiature d’un ordre inférieur. À cette époque, la chasse autour de Mourino était assez bonne, et presque chaque jour je sortais avec mon fusil. J’avais pour compagnon un bourgeois de la capitale, nommé Vikoulof, bon garçon, pas sot du tout, mais, comme il le disait lui-même, d’une conduite absolument perdue. Où cet