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« Que dites-vous là ? m’écriai-je.

— Je te tuerai, va-t’en. »

La voix de Kharlof s’échappait de sa poitrine comme un hurlement rauque ; ses yeux furieux continuaient de regarder droit devant lui.

« Je te jetterai à l’eau avec tous tes conseils, imbécile, pour t’apprendre à venir déranger un vieillard, marmot que tu es ! »

Je vis qu’il pleurait ; de petites larmes glissaient sur ses joues l’une après l’autre, et pourtant son visage avait alors une expression tout à fait féroce.

« Va-t’en, ou, devant Dieu, je te tuerai… pour servir d’exemple à d’autres. »

Il fit un brusque mouvement de côté, relevant la lèvre comme un sanglier. Je ramassai mon fusil et me sauvai à toutes jambes. Mon chien me suivit en aboyant d’un air effaré ; il avait pris peur aussi.

De retour à la maison, je me gardai bien de raconter mon aventure à ma mère ; mais le diable sait pourquoi, ayant rencontré Souvenir, je m’avisai de lui dire tout. Cet être insupportable fut tellement enchanté de mon récit qu’il en rit à se tordre. J’eus grande envie de le battre.

« Oh ! disait-il tout haletant de rire, que j’aurais voulu voir cette grande carcasse de Kharlof assise dans la boue !

— Allez à l’étang, lui dis-je, si vous êtes si curieux.

— Ah ! bien oui, et s’il me tue au lieu de vous ? »

Je me repentis trop tard de mon bavardage dé-