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Et il donna une saccade à sa ligne, à l’extrémité de laquelle pendait un bout de ficelle sans hameçon.

« Mais votre ligne est cassée ! »

Je m’aperçus en même temps qu’il n’y avait auprès de lui ni cruche, ni vers d’amorce ; d’ailleurs, quelle pêche possible au mois de septembre ?

« Cassée ? répéta-t-il en se passant la main sur le visage ; c’est égal. »

Et il rejeta son bâton sur l’eau.

« Est-ce le fils de Natalia Nicolavna ? » demanda-t-il quelques instants plus tard, pendant lesquels je l’avais considéré avec stupeur. Il me semblait toujours un géant, quoiqu’il eût beaucoup maigri ; mais quels haillons le couvraient ! et quelle ruine que tout son corps !

« Oui, répondis-je, je suis le fils de Natalia Nicolavna.

— Vivante ?

— Ma mère se porte bien. Elle a été très-affligée de votre refus ; elle ne s’y attendait pas. »

Kharlof inclina le front.

« As-tu été là ? dit-il en me désignant de la tête la maison. Tu n’y as pas été ? Vas-y, qu’as-tu à faire ici ? Va, inutile de causer avec moi, ça m’ennuie. »

Il se tut quelques instants.

« Tu es toujours à vagabonder avec ton fusil. Quand j’étais jeune, je courais aussi dans ce sentier-là ; mais mon père… Oh ! comme je le respectais… Pas comme ceux d’à présent. Mon père me sangla de coups de