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— Je sais qu’il y est allé. Ne l’as-tu pas vu revenir ?

— Non, je ne l’ai pas vu. »

Le paysan continuait à se tenir immobile et tête nue.

« Va-t’en, dit-elle… Mais non ; sais-tu où est Martin Petrovitch ?

— Martin Petrovitch, répondit le paysan d’une voix traînante, et soulevant tantôt le bras droit, tantôt le bras gauche, comme s’il voulait montrer quelque chose ; il est là-bas, sur le bord de l’étang, assis, tenant une ligne. Il est entré dans les joncs, et il tient une ligne à la main. Est-ce qu’il veut prendre du poisson dans ce temps-ci ? Dieu sait !

— C’est bien, va-t’en, répéta Anna, et relève d’abord cette roue qui traîne à terre. »

Le paysan s’empressa d’obéir, et elle, toujours sur le perron, regardait toujours du côté du bois ; puis elle fit lentement un geste de menace, et rentra dans la maison.

« Axutka ! » cria sa voix impérieuse.

J’avais été frappé de son air courroucé et de la façon dont elle serrait ses lèvres déjà si minces. Elle était vêtue négligemment, et une tresse déroulée de ses cheveux lui tombait sur l’épaule. Malgré le négligé de sa toilette, malgré sa mauvaise humeur, elle me semblait toujours attrayante, et j’aurais volontiers baisé cette main étroite et rageuse avec laquelle, par deux fois, elle avait rejeté avec dépit la tresse indocile.