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donné de paraître. Elle le fit introduire dans son cabinet. La conversation ne dura pas plus d’un quart d’heure. Slotkine sortit de chez ma mère le visage enflammé, avec une expression si insolemment méchante, que, l’ayant rencontré dans le salon, j’en restai stupéfait, et Souvenir, qui s’était glissé derrière moi, ne put achever son éclat de rire habituel. Quand ma mère sortit de son cabinet, elle n’avait pas le visage moins rouge, et déclara à haute voix, devant tous ses gens, que jamais elle ne permettrait que Slotkine fût admis en sa présence.

« Et si les filles de Martin Petrovitch, ajouta-t-elle, osaient se présenter, car elles ont assez d’impudence pour le faire, il faut aussi leur refuser la porte. »

À dîner, elle s’écria tout à coup :

« Voyez-vous, quel misérable petit juif ! C’est moi qui l’ai tiré de la boue, par les oreilles, comme un lièvre embourbé ; j’en ai fait un homme, il me doit tout, et il a l’audace de me dire que je ne devrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; que Martin Petrovitch fait le capricieux, qu’on aurait tort de le traiter avec trop d’indulgence… Trop d’indulgence ! comprenez-vous cela ? Ô l’ingrat petit crapaud ! »

Le major Gitkof crut sans doute que Dieu lui-même lui offrait enfin l’occasion pour placer son mot ; elle l’arrêta dès qu’il ouvrit la bouche.

« Tu es bon aussi, toi ! s’écria-t-elle ; tu n’as pas pu venir à bout d’une jeune fille, et ça se dit un officier ! Je m’imagine comme ton bataillon devait t’obéir ! Et il avait encore la prétention de devenir