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fort surpris de ce désir, il répondit pourtant que tout serait prêt dans quelques moments.

Il retourna chez lui avec Néjdanof ; il chancelait en marchant, comme un homme exténué de fatigue.

« Qu’avez-vous ? lui demanda Néjdanof.

— Je n’en puis plus ! répondit Markelof d’un ton farouche. De quelque manière qu’on parle à ces gens-là, il n’y a pas moyen de se faire comprendre, et les ordres ne sont pas exécutés… Ils ne comprennent pas même le russe. — Le mot « part » leur est très-bien connu… Mais « prendre part »… Qu’est-ce que ça veut dire : prendre part ? Ils n’en savent rien ! C’est cependant du russe, que diable ! — Ils se figurent que je veux leur donner une part de terrain ! »

Markelof avait eu l’idée d’expliquer aux paysans le principe de l’association, et d’introduire ce principe chez lui ; — mais les paysans avaient opiniâtrement refusé. — Après toutes ses explications, un vieux paysan lui avait dit :

« Profond était le trou jusqu’à présent ; et maintenant il l’est tellement qu’on ne voit plus le fond. » Et tous les autres avaient poussé un grand soupir, ce qui avait complètement anéanti Markelof.

Arrivé chez lui, il renvoya tout le monde, et prit des mesures pour faire préparer l’équipage et servir le déjeuner. Tout son personnel se composait d’un « kazatchok »[1], d’une cuisinière, d’un cocher et d’un bonhomme extrêmement vieux, aux oreilles velues, revêtu d’un caftan à longs pans en grosse cotonnade, qui avait été jadis le valet de chambre de son grand-père. Ce vieux bonhomme avait constamment les yeux fixés sur son maître, avec une expression d’indicible tristesse. Du reste, il ne faisait rien, et il était probablement incapable de rien faire ; mais il se tenait toujours là présent à l’appel, assis sur le rebord du perron.

  1. Le Kazatchok, — diminutif de Kasak, Cosaque, — est un petit groom.