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façade d’une maison basse, dont le toit cachait le disque de la lune, trois fenêtres éclairées se détachaient en rectangles lumineux ; la porte cochère, toute grande ouverte, avait l’air de n’avoir jamais été fermée.

On entrevoyait dans la cour, à travers l’obscurité, une haute « kibitka », derrière laquelle étaient attachés deux chevaux de poste blancs ; deux chiens blancs aussi, sortis on ne sait d’où, remplirent les airs de leurs aboiements sonores, mais point hostiles. Il y eut un va-et-vient dans la maison ; le tarantass s’arrêta devant le perron, et cherchant du bout de sa botte, non sans efforts, le marchepied placé, selon la coutume des forgerons domestiques, à l’endroit le plus incommode, Markelof descendit du véhicule en disant à Néjdanof :

« Nous voici arrivés, et vous allez voir ici des hôtes très-connus de vous, mais que vous ne vous attendiez pas du tout à rencontrer. — Passez, je vous prie. »


XI


Ces hôtes étaient nos anciennes connaissances, Ostrodoumof et Machourina. Assis dans le petit salon, fort médiocrement meublé, de la maison de Markelof, ils prenaient de la bière et fumaient, à la lueur d’une lampe à pétrole.

Ils ne s’étonnèrent pas de l’arrivée de Néjdanof, car ils savaient que Markelof avait l’intention de l’amener avec lui, mais Néjdanof fut extrêmement surpris de les voir.

Quand il entra, Ostrodoumof lui dit simplement :

« Bonjour, frère ! »

Le visage de Machourina devint subitement tout rouge ; elle lui tendit la main sans rien dire.

Markelof expliqua à Néjdanof que leurs deux amis avaient été envoyés « pour l’œuvre commune », qui devait