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et moi je vais donner ordre qu’on attelle le tarantass. Je suppose que vous n’avez pas de permission à demander aux maîtres de la maison ?

— Je les avertirai. Il me semble que je n’ai pas le droit de m’éloigner sans cela.

— Ne vous inquiétez pas, répliqua Markelof, j’arrangerai la chose. En ce moment-ci, ils jouent aux cartes ; ils ne remarqueront pas votre absence. Mon beau-frère se croit un homme d’État, et il n’a qu’une chose pour lui, c’est qu’il joue très-bien aux cartes. Après tout, il y a bien des gens qui sont arrivés par cette porte-là ! Tenez-vous prêt, je vais tout préparer. »

Markelof s’éloigna. Une heure après, Néjdanof était installé à côté de lui sur un grand coussin de cuir, dans un large tarantass, très-vieux et très-évasé, mais extrêmement commode ; un cocher microscopique, assis sur un bout de planche, sifflotait sans cesse ; cela ressemblait à un gentil gazouillement d’oiseaux ; la troïka de chevaux pies aux queues et aux crinières tressées courait rapidement sur la route unie ; et, sous les premières ombres de la nuit tombante (ils étaient partis à dix heures sonnant), ils voyaient glisser d’un mouvement uniforme, — en arrière ou en avant, selon la distance, — les arbres, les buissons, les champs, les ravins et les prés.

Le petit domaine de Markelof, qui ne contenait que deux cents dessiatines (hectares) et qui rapportait environ sept cents roubles de revenu annuel, s’appelait Borzionkovo ; il était situé à trois verstes du chef-lieu dont le domaine de Sipiaguine était éloigné de sept verstes. Pour arriver à Borzionkovo, il fallait passer à travers la ville.

Les nouveaux amis n’avaient pas eu le temps d’échanger cinquante mots, lorsqu’ils aperçurent devant eux les chétives maisonnettes des faubourgs, avec leurs toits de planches à moitié effondrés et les taches de lumière jaune que faisaient les fenêtres disjointes ; puis les pavés de la ville résonnèrent sous les roues du tarantass