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Ce Cyrille était connu pour un ivrogne fini.

« Faites attention à lui. C’est un franc riboteur ; mais nous ne sommes pas là pour faire les délicats. Et que dites-vous de ma sœur ? ajouta-t-il brusquement en relevant la tête et en fixant sur Néjdanof le regard de ses yeux jaunes : Celle-là est encore plus rusée que mon beau-frère. Qu’en dites-vous ?

— Je dis que c’est une charmante et très-aimable dame… et de plus qu’elle est bien jolie.

— Hum ! Vous avez une manière si raffinée de dire, les choses, vous autres messieurs de Pétersbourg ! Je vous admire ! Et que dites-vous de… ? »

Markelof fronça le sourcil, son visage se renfrogna ; il n’acheva pas la phrase commencée.

« Je vois, reprit-il, que nous aurons beaucoup à causer ensemble, mais non pas dans cette chambre. Qui diable sait s’il n’y a pas quelqu’un qui nous espionne derrière la porte ? Écoutez, c’est aujourd’hui samedi ; demain, je suppose, vous ne donnez pas de leçon à mon neveu… n’est-ce pas ?

— J’ai une répétition avec lui, demain, à trois heures.

— Une répétition ? Tout juste comme au théâtre. Ce doit être ma sœur qui invente ces expressions-là… mais peu importe. Voulez-vous partir tout de suite ? Ma propriété n’est qu’à dix verstes d’ici. J’ai de bons chevaux qui trottent ferme ; vous passerez chez moi la nuit et la matinée de demain, et je vous ramène ici avant trois heures. Consentez-vous ?

— Comme il vous plaira, » répondit Néjdanof.

Depuis l’arrivée de Markelof, Néjdanof était dans un état de surexcitation et de gêne. Ce rapprochement inopiné le troublait, et pourtant Markelof lui inspirait de la sympathie. Il sentait, il voyait que cet homme, probablement assez borné, était certainement honnête et fort. D’autre part, cette étrange rencontre dans le taillis, cette déclaration inattendue de Marianne…

« Allons, c’est bien ! s’écria Markelof. Préparez-vous,