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— Vous avez beaucoup d’occupation ?

— Pas trop. »

Markelof toussa d’un air de mauvaise humeur :

« Hum ! Il n’y a guère à compter sur les paysans d’ici, continua-t-il ; ce sont des gens nuls. Il faudrait les instruire. La pauvreté est grande parmi eux, et il n’y a personne pour leur expliquer les causes de cette pauvreté.

— Mais, autant qu’on peut en juger, les anciens serfs de votre-beau-frère ne sont pas trop misérables, objecta Néjdanof.

— Mon beau-frère est un finaud, passé maître dans l’art de jeter de la poudre aux yeux. Les paysans d’ici ne comptent pas ; mais il a une fabrique ; voilà où nous devons concentrer nos efforts. Un coup de pioche dans cette fourmilière, et vous verrez comme tout ça remuera. Avez-vous des brochures ?

— Oui, mais pas beaucoup.

— Je vous en procurerai. Mais quelle négligence ! »

Néjdanof ne répondit pas ; Markelof resta un moment silencieux, en lançant par le nez la fumée de sa cigarette.

« Quel gredin pourtant que ce Kalloméïtsef ! dit-il tout à coup. Pendant le dîner, j’ai eu envie de me lever, d’aller droit à ce monsieur, et de planter des gifles sur son insolent museau pour que cela serve de leçon aux autres. Mais non ! par le temps qui court, il y a des choses plus importantes que de rosser un gentilhomme de la chambre. Ce n’est pas l’heure de se fâcher contre des imbéciles qui disent de méchantes paroles ; il s’agit de les empêcher de commettre de mauvaises actions. »

Néjdanof hocha la tête affirmativement, et Markelof se remit à fumer.

« Parmi toute la valetaille des « dvorovié », reprit-il de nouveau, il y a ici un gaillard solide ; non pas votre Ivan, celui-là n’est ni chair ni poisson, mais un certain Cyrille, qui est buffetier. »