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fait éprouver le printemps et à laquelle, dans un cœur jeune ou vieux, se mêle toujours je ne sais quelle mélancolie : la mélancolie agitée de l’attente dans le cœur du jeune homme, l’immuable mélancolie du regret dans le cœur du vieillard.

Tout à coup Néjdanof entendit un bruit de pas qui se rapprochaient.

Ce n’était pas un homme seul qui marchait, ce n’était pas un paysan chaussé de souliers d’écorce ou de lourdes bottes, — ce n’était pas non plus une paysanne aux pieds nus. On aurait dit que deux personnes s’avançaient d’un pas mesuré, sans se hâter… Une robe de femme faisait un léger froufrou…

Tout à coup une voix sourde, une voix d’homme se fit entendre :

— Alors, c’est votre dernier mot ? Jamais ?

— Jamais ! reprit une voix féminine qui ne parut pas inconnue à Néjdanof, et une seconde après, à l’angle du sentier qui contournait en cet endroit le jeune taillis, apparut Marianne en compagnie d’un homme au teint basané, aux yeux noirs, que Néjdanof n’avait pas vu jusqu’alors.

À la vue du jeune homme ils s’arrêtèrent tous deux comme pétrifiés ; et celui-ci fut si étonné de leur apparition qu’il oublia même de se lever de la souche sur laquelle il était assis. Marianne rougit jusqu’à la racine des cheveux, mais fit sur-le-champ un sourire de mépris…

À qui s’adressait ce sourire ? Était-ce à elle-même pour avoir rougi, ou bien à Néjdanof ? Son compagnon fronça ses épais sourcils ; il y eut comme une lueur dans le blanc jaunâtre de ses yeux inquiets. Ensuite il échangea un regard avec Marianne, et tous deux, tournant le dos à Néjdanof, s’en allèrent silencieux, sans presser le pas, pendant qu’il les suivait d’un regard étonné.

Au bout d’une demi-heure, il revint à la maison dans sa chambre, et lorsque, appelé par les beuglements du gong, il entra dans le salon, il y trouva ce même in-