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les derniers faux prétendants du gouvernement d’Orenbourg ? Cela se passait en 1834, mon cher ! Je n’aime pas cette revue, et l’auteur de l’article est un conservateur, mais le fait est fort intéressant, et suggère bien des réflexions… »


IX


Mai touchait à sa fin, amenant les premières journées chaudes de l’été. Après avoir terminé sa leçon d’histoire, Néjdanof sortit dans le jardin et passa de là dans le petit bois de bouleaux qui y était attenant. Une partie du bois avait été coupée une quinzaine d’années auparavant, et sur cet emplacement avait poussé un épais taillis de jeunes arbres. Les tiges s’élevaient serrées et droites, semblables à des colonnettes d’un blanc mat d’argent cerclées de ronds grisâtres ; leurs feuilles, toutes petites encore et bien nombreuses, avaient un éclat net et vif, comme si on les eût lavées et enduites de laque ; l’herbe printanière dardait ses langues fines et aiguës à travers la couche unie des feuilles mortes, dont le dernier automne avait couvert le sol. Tout le taillis était sillonné d’étroits sentiers ; des merles noirs, au bec jaune, avec un brusque cri d’effroi, traversaient à ras de terre ces petits chemins et se précipitaient à corps perdu dans le fourré.

Après une demi-heure de promenade, Néjdanof s’assit enfin sur une souche d’arbre coupé, entourée de vieux copeaux noircis qui gisaient là en tas, comme ils étaient tombés sous le coup de la hache. Bien des fois la neige les avait recouverts, puis avait fondu, au printemps, sans que personne songeât à les déranger.

Néjdanof, assis, tournait le dos à une muraille serrée de jeunes bouleaux dont l’ombre courte et forte s’étendait en bande le long de la lisière. Il ne songeait à rien ; il se livrait tout entier à cette impression particulière que