Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée

de ce jour-là, le connais-tu ? — Comment donc ! — Chante-le ! » Je me mis tout de suite à chanter : Le Christ notre Seigneur se transfigura sur la montagne… « Assez ! Qu’est-ce que la Transfiguration et comment faut-il l’interpréter ? — Je répondis : Le Christ voulait montrer toute sa gloire à ses disciples ! — Très-bien ! me dit-il ; tiens, voici une petite image que je te donne comme souvenir. » Je me prosternai devant lui : « Merci, monseigneur !… » De sorte que je ne me séparai pas de lui le ventre vide.

— J’ai l’honneur de connaître personnellement Son Éminence, dit Sipiaguine avec gravité. C’est un pasteur du plus grand mérite !

— Du plus grand mérite ! appuya le père Cyprien. Il a seulement un peu trop de confiance dans les doyens. »

Mme Sipiaguine parla de l’école du village, dont Mlle Marianne serait l’institutrice ; le diacre, inspecteur de l’école, homme d’une carrure athlétique, dont la longue chevelure ondulée rappelait confusément la queue bien peignée d’un trotteur des haras Orlof, voulut exprimer son approbation ; mais, faute d’avoir mesuré la force de son larynx, il poussa un son tellement puissant qu’il effraya tout le monde et en resta lui-même tout penaud. Après quoi, le clergé se retira.

Kolia, dans sa belle petite veste à boutons d’or, fut le héros de la journée ; on le combla de félicitations et de cadeaux ; sur l’escalier d’honneur et sur l’escalier de service, les ouvriers de fabrique, les dvorovié[1], les vieilles

  1. Avant l’émancipation, dans chaque domaine, un certain nombre de serfs étaient choisis par le seigneur (ou vivaient chez lui de père en fils) comme domestiques, valets d’écurie, charrons, menuisiers, etc., etc. Ces dvorovié, gens de la cour (du mot dvor, qui signifie cour), formaient une classe différente de celle des paysans. Lors de l’émancipation, en 1861, ils sont devenus libres, mais n’ont pas reçu de lots de terrain comme les paysans cultivateurs. Depuis quinze ans, par conséquent, les dvorovié sont des prolétaires qui se louent à l’année, soit comme domestiques, soit comme ouvriers dans les domaines seigneuriaux.