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ramena vers la maison ; il trouva toute la société dans la salle à manger.

Mme Sipiaguine lui fit l’accueil le plus gracieux ; dans son costume du matin, elle lui fit l’effet d’une beauté accomplie. Marianne avait sur son visage l’expression concentrée et presque rude qui lui était habituelle.

À dix heures précises, la première leçon commença, en présence de Mme Sipiaguine ; elle s’informa préalablement auprès de Néjdanof pour savoir si elle ne gênerait pas. Et son maintien, pendant tout le temps de la leçon, fut aussi modeste que possible.

Kolia se montra intelligent ; après les premières hésitations et les maladresses inévitables, la leçon marcha à souhait. Valentine semblait tout à fait contente du professeur ; elle lui adressa plusieurs fois la parole d’un air fort avenant. Il se tint sur la réserve, mais pas trop.

Mme Sipiaguine assista aussi à la seconde leçon, celle d’histoire russe. Sur ce sujet, disait-elle en souriant, elle avait besoin d’un professeur au moins autant que Kolia. Elle eut d’ailleurs une tenue aussi discrète que pendant la leçon du matin.

De trois à cinq heures, Néjdanof resta dans sa chambre pour écrire à Pétersbourg. Il se sentait assez à l’aise ; il n’éprouvait plus d’ennui, plus d’angoisse ; ses nerfs trop tendus étaient revenus peu à peu à leur état normal. Ils se tendirent de nouveau pendant le dîner, bien que Kalloméïtsef n’y assistât pas, et que la dame du logis continuât à avoir pour lui une aimable prévenance ; mais c’était justement cette prévenance qui le gênait. De plus, sa voisine, la vieille fille, Anne Zakharovna, lui était évidemment hostile et boudait ; Marianne persévérait dans son attitude sérieuse ; Kolia enfin, avec un sans-gêne un peu excessif, lui donnait des coups de pied dans les jambes.

Sipiaguine lui-même avait un air de mauvaise humeur. Il était fort mécontent d’un Allemand qu’il avait