tournant vers Néjdanof, d’autant plus que dans votre société, m’a-t-on dit, toutes les demoiselles fument n’est-ce pas ?
— C’est vrai, madame, répondit sèchement Néjdanof. » C’était la première fois qu’il adressait la parole à Mme Sipiaguine.
« Moi, je ne fume pas, — continua-t-elle en clignant avec une expression caressante ses yeux de velours… Je suis en retard sur mon siècle. »
Marianne, lentement et méthodiquement, comme par bravade, prit un paquitos, tira une allumette de la boîte, et se mit à fumer. Néjdanof alluma aussi une cigarette, en empruntant du feu à Marianne.
La soirée était magnifique. Kolia et Anne Zakharovna s’en allèrent dans le jardin ; le reste de la société passa encore une heure environ sur la terrasse à respirer l’air pur.
La conversation était assez animée. Kalloméïtsef faisait une charge à fond sur la littérature ; Sipiaguine, toujours libéral, défendait l’indépendance des lettres, démontrant leur utilité, citait même Chateaubriand, à qui l’empereur Alexandre Pavlovitch avait conféré l’ordre de « Saint-André, premier apôtre ».
Néjdanof ne se mêlait pas à cette discussion ; Mme Sipiaguine le regardait, et l’expression de son visage semblait dire qu’elle approuvait cette réserve discrète, non sans en être un peu surprise.
À l’heure du thé, tout le monde revint au salon.
« Cher M. Néjdanof, dit Sipiaguine, nous avons ici une mauvaise habitude, le soir : c’est de jouer aux cartes, et qui plus est un jeu défendu : la stoukolka[1], figurez-vous ! Je ne vous invite pas. Mais du reste Mlle Marianne aura la bonté de nous faire entendre un peu de piano. Vous aimez la musique, j’en suis sûr, n’est-ce pas ? »
Et sans attendre de réponse, il prit en main un jeu
- ↑ Sorte de lansquenet.