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mari des regards lumineux et caressants, et qu’elle se serrait contre lui. Le toupet frisé et pommadé de Kolia lui déplut ; à l’aspect de Kalloméïtsef il pensa : « Quel museau bien léché ! » et ne fit pas du tout attention aux autres personnes.

Sipiaguine tourna deux fois la tête à droite et à gauche avec dignité, comme pour reconnaître ses pénates ; ce mouvement fit admirablement ressortir ses longs favoris pendants et sa petite nuque rebondie. Ensuite, de sa voix étoffée et sonore, que la fatigue du voyage n’avait nullement altérée, il cria à l’un des domestiques :

« Ivan, conduis M. le précepteur à la chambre verte, et portes-y sa valise. »

Puis il expliqua à Néjdanof qu’il pouvait maintenant se reposer, s’installer et se débarbouiller ; quant au dîner, on le servait à cinq heures précises.

Néjdanof s’inclina et se rendit à la suite d’Ivan dans la chambre verte, située au second étage.

Toute la société passa dans le salon ; là on répéta encore la bienvenue : — une vieille bonne à moitié aveugle vint saluer le maître. Par respect pour l’âge de celle-ci, Sipiaguine lui donna sa main à baiser, et, priant Kalloméïtsef de l’excuser, il se rendit dans sa chambre, accompagné de son épouse.


VII


La chambre propre et spacieuse à laquelle le domestique conduisit Néjdanof donnait sur le jardin. Les fenêtres étaient grandes ouvertes et un vent léger soulevait doucement les stores blancs, qui se gonflaient comme des voiles, s’avançaient, montaient et retombaient. Des reflets dorés glissaient lentement sur le plafond ; la chambre était pleine d’une odeur de printemps, fraîche et un peu humide. Néjdanof commença par renvoyer le