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Oui, reprit Mme  Sipiaguine, quelquefois Boris m’étonne moi-même. Il a en lui la fibre… la fibre du tribun.

— « C’est parce qu’il est orateur ! » dit Kalloméïtsef en français cette fois-ci. Votre mari a le don de la parole plus que personne, et il est accoutumé à briller… Ses propres paroles le grisent… et là-dessus le désir de la popularité… À propos, en ce moment, n’est-il pas un peu fâché ? Il boude, eh ? »

Mme  Sipiaguine dirigea un regard vers Marianne.

« Je n’ai pas remarqué cela, fit-elle après un court silence.

— Oui, continua Kalloméïtsef sur un ton méditatif, on lui a fait quelque passe-droit à Pâques… »

Mme  Sipiaguine lui indiqua Marianne des yeux pour la seconde fois.

Kalloméïtsef sourit, et cligna de l’œil pour expliquer qu’il avait compris.

« Mademoiselle Marianne ! s’écria-t-il soudain, plus haut qu’il n’était nécessaire, avez-vous l’intention de donner encore des leçons cette année à l’école ? »

Marianne tourna le dos à la cage.

« Est-ce que cela vous intéresse aussi, Siméon Pétrovitch ?

— Certainement ; beaucoup même !

— Vous n’auriez pas défendu cela ?

— Aux nihilistes, j’aurais défendu de penser seulement aux écoles ; mais sous la direction du clergé, et en surveillant le clergé, j’aurais été le premier à créer des écoles.

— Vraiment ? Je ne sais pas encore ce que je ferai cette année. L’année dernière tout est allé si mal ! Et quelles classes voulez-vous qu’on ait en été ? »

En parlant, Marianne rougissait toujours comme si la parole lui coûtait un effort, comme si elle se forçait à continuer. Il y avait en elle encore beaucoup d’amour-propre.

« Tu n’es peut-être pas suffisamment préparée ? demanda Mme