Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

vée, aux cheveux châtain foncé ; son visage, d’un ton uniforme, mais frais, rappelait celui de la madone Sixtine, avec ses yeux veloutés et profonds — Elle avait les lèvres pâles et un peu épaisses, les épaules un peu hautes, les mains un peu grandes… Mais, en somme, celui qui l’aurait vue aller et venir dans son salon, aisée et légère, — tantôt penchant vers une fleur sa taille fine et un peu serrée, pour en respirer le parfum, — tantôt changeant de place quelque vase chinois, tantôt rajustant ses cheveux lustrés devant la glace en fermant à demi ses beaux yeux, — celui-là se serait certainement écrié, en lui-même sinon tout haut, qu’il n’avait jamais rencontré une créature plus ravissante !

Un joli petit garçon de sept ans, tout bouclé, vêtu à l’écossaise avec les jambes nues, fortement pommadé et frisé, entra en courant dans le salon, et s’arrêta court à l’aspect de Mme Sipiaguine.

« Qu’y a-t-il, Kolia[1] ? » lui dit-elle.

Sa voix était aussi moelleuse, aussi veloutée que ses yeux.

« C’est que… maman… fit le petit garçon avec embarras, ma tante m’a envoyé ici… et m’a dit de prendre des muguets… pour sa chambre… Elle n’en a pas… »

Mme Sipiaguine prit son fils par le menton et lui fit lever la tête :

« Dis à ta tante qu’elle envoie chercher des muguets chez le jardinier ; ces muguets-ci sont à moi… Je ne veux pas qu’on y touche. Dis-lui que je n’aime pas qu’on dérange ce que j’ai arrangé. Sauras-tu lui répéter mes paroles ?

— Je saurai… balbutia le petit garçon.

— Voyons, comment diras-tu ?

— Je dirai… je dirai… que tu ne veux pas. »

Mme Sipiaguine se mit à rire. — Et le rire aussi chez elle était moelleux.

  1. Kolia, diminutif de Nicolaï, Nicolas.