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deux heures.

— Bien. »

Machourina se tut un instant, et tout à coup, tendant la main à Néjdanof :

« Je vous ai dérangé, je crois, dit-elle ; pardonnez-moi. Et puis… je vais partir. Qui sait si nous nous reverrons ? Je voulais vous dire adieu. »

Néjdanof serra la main rouge et froide de Machourina.

« Vous avez vu le visiteur de tout à l’heure ? dit-il. Je me suis entendu avec lui. Je l’accompagne dans son bien, près de S… »

Un sourire passa sur le visage de Machourina.

« Près de S… ! En ce cas, nous nous reverrons peut-être. Il est possible qu’on nous envoie de ce côté-là. »

Machourina soupira.

« Ah ! Alexis Dmitritch…

— Quoi donc ? » demanda Néjdanof.

Machourina prit un air concentré.

« Rien. Adieu ! Rien. »

Elle lui serra la main encore une fois et s’éloigna.

« Personne, dans tout Pétersbourg, ne m’est aussi attaché que cette drôle de fille, pensa Néjdanof ; mais elle aurait bien pu ne pas me déranger ! Bah ! tout est pour le mieux. »

Le lendemain matin, Néjdanof se dirigea vers la demeure de Sipiaguine, et là, dans un superbe cabinet, plein de meubles d’un style sévère tout à fait d’accord avec la dignité de l’homme d’État libéral et du gentleman ; assis devant un vaste bureau sur lequel gisaient dispersés dans un savant désordre, côte à côte avec d’énormes couteaux d’ivoire qui n’avaient jamais rien coupé, des tas de papiers qui n’avaient jamais servi à rien ni à personne ; il écouta pendant une heure entière les discours sensés, bienveillants, onctueux comme un baume, que lui tenait son hôte, toucha enfin l’avance de cent roubles, et, dix jours après, le même Néjdanof, à demi