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Il se secoua et s’éloigna de la fenêtre ; apercevant le billet de dix roubles que Pakline avait laissé sur la table, il le mit dans sa poche, et commença à se promener de long en large.

« Il faudra que je prenne une avance, se disait-il en lui-même, puisque heureusement ce monsieur me l’a offerte. Cent roubles… et chez mes frères, chez Leurs Altesses ! cent autres roubles… Cinquante pour mes dettes, soixante à soixante-dix pour le voyage, et le reste à Ostrodoumof… ainsi que les dix roubles de Pakline. De plus, nous recevrons encore quelque chose de Merkoulof… »

Pendant qu’il faisait ces calculs, les rimes recommençaient à se croiser dans sa tête. Il s’arrêta, rêveur, et, regardant vaguement de côté, resta sur place. Puis ses mains, comme à tâtons, cherchèrent et ouvrirent le tiroir de la table, au fond duquel elles trouvèrent un petit cahier couvert d’écriture.

Il s’affaissa sur sa chaise devant la table, sans changer la direction de son regard, et là, murmurant des mots insaisissables, secouant de temps en temps sa chevelure, effaçant, raturant, il se mit à aligner des vers.

La porte de l’antichambre s’ouvrit à moitié et la tête de Machourina apparut. Néjdanof ne s’en aperçut pas et continua son travail. Machourina le regarda longtemps fixement, puis secouant la tête à droite et à gauche d’un air de compassion, elle fit un pas en arrière. Mais Néjdanof se redressa tout à coup :

« Ah ! c’est vous ! dit-il, non sans dépit, en fourrant son cahier au fond du tiroir.

— Ostrodoumof m’a envoyée chez vous, dit-elle lentement, pour savoir quand on pourra toucher l’argent. Si vous en recevez aujourd’hui, nous partirons ce soir. »

Néjdanof fronça les sourcils :

« Impossible pour aujourd’hui ; revenez demain.

— À quelle heure ?

— À