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les impôts l’ont absolument ruiné, et la seule réforme qui ait été accomplie, c’est que les paysans portent maintenant des casquettes, et que les paysannes ont renoncé à leur ancienne coiffure… Et la faim ! et l’ivrognerie ! et les accapareurs !… »

Mais, en ce moment, Machourina bâilla, et Pakline comprit qu’il fallait changer de conversation.

« Vous ne m’avez pas encore dit, lui demanda-t-il, où vous avez passé ces deux années, ni si vous êtes revenue depuis longtemps, ni ce que vous avez fait, ni de quelle façon vous vous êtes transformée en comtesse italienne, ni pourquoi…

— Vous n’avez pas besoin de savoir tout cela, interrompit Machourina : à quoi bon ? Ce n’est plus votre affaire à présent. »

Cela donna à Pakline un coup ; mais, pour essayer de cacher son trouble, il fit entendre un petit rire forcé.

« Comme il vous plaira, dit-il ; je sais qu’aux yeux de la jeune génération, je suis un homme en retard ; le fait est, du reste, que je ne peux plus me compter… au rang des… »

Il n’acheva pas sa phrase.

« Voici Snandoulie qui nous apporte le thé. Vous en prendrez une tasse, et pendant ce temps-là, vous m’écouterez. Peut-être y aura-t-il dans mes paroles quelque chose d’intéressant pour vous. »

Machourina prit la tasse d’une main, un morceau de sucre de l’autre, et se mit à boire à la façon des gens du peuple russe, en croquant son sucre par bribes.

Pour le coup, Pakline se mit à rire de bon cœur.

« Il est très-heureux que la police ne soit pas ici, lui dit-il, car la comtesse italienne… Comment avez-vous dit ?

— Rocca di Santo Fiume ! répondit Machourina avec une gravité imperturbable en avalant une gorgée de thé brûlant.

— Rocca di Santo Fiume ! répéta Pakline, et elle