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Il y a un enfant, probablement ? dit-elle d’un air dédaigneux.

— Peut-être, je ne sais pas. Mais où allez-vous, où allez-vous ? ajouta Pakline en la voyant prendre son chapeau. Attendez, Snandoulie va vous apporter le thé tout de suite. »

Ce que Pakline désirait, ce n’était pas tant de retenir Machourina, que d’avoir l’occasion de déverser tout ce qui s’était accumulé, tout ce qui fermentait sourdement dans son âme. Depuis qu’il était revenu à Pétersbourg, il voyait très-peu de monde, surtout très-peu de jeunes gens. Son histoire avec Néjdanof l’avait épouvanté, il était devenu très-prudent, il fuyait la société, —et les jeunes gens, de leur côté, le regardaient d’un œil soupçonneux. L’un d’eux, même, lui avait jeté à la figure le mot : dénonciateur. Quant aux vieillards, il n’éprouvait guère de plaisir à les voir ; de sorte que des semaines entières se passaient sans qu’il eût occasion de dire un mot.

Il ne se livrait guère avec sa sœur, non qu’il la crût incapable de le comprendre, bien au contraire ! Il estimait très-haut son esprit… Mais, avec elle, il était forcé de parler sérieusement et avec toute véracité ; et dès qu’il se lançait à « jouer de l’atout », comme on dit chez nous, elle se mettait aussitôt à le regarder d’un certain air, attentivement, non sans compassion, et il se sentait tout honteux. Mais convenez qu’on ne peut s’empêcher de jouer de l’atout, ne fût-ce que d’un deux d’atout !

Tout cela faisait que la vie de Pétersbourg était devenue écœurante pour Pakline, et qu’il songeait parfois à transporter ses pénates ailleurs… à Moscou, peut-être.

Et, en attendant, une foule de considérations, de réflexions, de pensées, de mots piquants ou drôles, s’entassaient, s’assemblaient en lui comme l’eau dans le réservoir d’un moulin fermé… On ne pouvait pas lever la vanne : l’eau devenait stagnante et se corrompait. Là-