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l’ami de Néjdanof… Venez chez moi ; je demeure à deux pas d’ici… Allons, je vous en prie.

Io sorto contessa Rocca… et… et… e ancora ! répondit la dame d’une voix grave, mais avec un accent russe très-nettement marqué.

— Quelle comtesse ? où prenez-vous une comtesse ?… Allons, suivez-moi, nous causerons.

— Mais où demeurez-vous ? lui demanda tout à coup la comtesse italienne, je suis pressée.

— Je demeure dans cette ligne-ci ; voilà ma maison ; tenez, une maison grise à trois étages. —Que vous êtes bonne de ne plus vous cacher de moi ! Donnez-moi le bras, allons. Y a-t-il longtemps que vous êtes ici ? Et pourquoi êtes-vous comtesse ? Avez-vous épousé quelque comte italien ? »

Machourina n’avait épousé aucun comte ; on lui avait donné, à l’étranger où elle se trouvait alors, le passeport d’une certaine comtesse Rocca di Santo Fiume, morte peu de temps auparavant ; et, ainsi munie, elle était partie tranquillement pour la Russie, quoiqu’elle ne comprit pas un mot d’italien, et qu’elle eût le type russe très-prononcé.

Pakline la conduisit dans son modeste petit logement. Sa sœur bossue, Snandoulie, avec laquelle il demeurait, sortit pour venir les recevoir de derrière la cloison qui séparait une toute petite cuisine de l’antichambre non moins petite.

« Tiens, Snandoulie, dit-il, je te recommande madame, une grande amie à moi ; donne-nous du thé bien vite. »

Machourina, qui n’aurait jamais accepté l’offre de Pakline si celui-ci n’avait pas parlé de Néjdanof, ôta son chapeau, arrangea de sa main virile ses cheveux coupés courts comme jadis, fit une inclination de tête, et s’assit sans rien dire.

Elle n’était pas du tout changée ; son vêtement même était celui qu’elle portait deux ans auparavant. Mais une