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un congé de trois mois. Elle avait été écrite deux jours avant la mort de Néjdanof, d’où l’on pouvait conclure que déjà, en ce moment-là, il croyait nécessaire de partir avec lui et Marianne, et de disparaître pour quelque temps.

L’enquête ouverte à propos du suicide ne fit rien découvrir.

On enterra le corps. Sipiaguine ne poussa pas plus loin les recherches pour retrouver sa nièce.

Markelof fut jugé neuf mois plus tard. Son attitude devant le tribunal fut la même que devant le gouverneur : calme, non sans une certaine dignité, et un peu triste. Sa roideur habituelle s’était amollie ; ce n’était point par faiblesse, mais par un autre sentiment, plus noble. Il ne se disculpait en rien, ne se repentait de rien, n’accusait et ne nommait personne ; son visage amaigri, aux yeux éteints, n’avait plus qu’une seule expression de résignation et de fermeté ; et ses réponses courtes, mais nettes et franches, éveillaient, chez les juges mêmes, un sentiment qui ressemblait à de la compassion.

Les paysans qui l’avaient livré, et qui servaient de témoins à charge, partageaient ce sentiment, et parlaient de lui comme d’un barine « simple » et bon.

Mais sa culpabilité était trop évidente ; il ne put échapper à la punition ; d’ailleurs il eut l’air de l’accepter comme une chose naturelle.

Quant à ses complices, du reste peu nombreux, Machourina se cachait ; Ostrodoumof fut tué par un bourgeois à qui il prêchait l’insurrection et qui lui donna un coup « maladroit » ; Golouchkine ne reçut qu’une légère punition, grâce à son « repentir sincère » (il faillit devenir fou d’inquiétude et de frayeur) ; Kisliakof fut retenu un mois en prison, puis relâché, et on ne l’empêcha même pas de recommencer à rouler à travers tous les gouvernements de la Russie ; Néjdanof s’était mis à l’abri en se tuant ; Solomine, —faute de preuves suffisantes, —