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— Alexis ! s’écria Marianne.

— Mais tout de suite… Tu te rappelles, Marianne, dans ma… poésie… « Environne-moi de fleurs… » Où sont-elles, les fleurs ?… Mais tu es là, toi… Ma lettre… »

Un frisson le prit de la tête aux pieds.

« Oh ! la voilà… Donnez-vous… la main l’un à l’autre… devant moi… Vite !… donnez… »

Solomine saisit la main de Marianne, qui avait enfoui sa tête dans le divan, la figure tout près de la blessure.

Quant à Solomine, il était debout, sévère, sombre comme la nuit.

« Comme ça… bien… comme ça… »

Néjdanof se reprit à s’étrangler, mais cette fois d’une façon tout étrange. Sa poitrine se souleva, ses flancs rentrèrent… Il faisait d’évidents efforts pour poser sa main sur leurs deux mains réunies ; mais les siennes étaient déjà mortes.

« Il s’en va, » murmura Tatiana, debout près de la porte.

Et elle se mit à faire des signes de croix.

Les hoquets devenaient plus rares, plus courts. Il chercha encore Marianne du regard, mais une terrible blancheur laiteuse, venue du dedans, voilait déjà ses yeux…

« Bien… » dit-il. Ce fut son dernier mot.

Il n’existait plus, et les mains de Solomine et de Marianne étaient encore unies sur sa poitrine.

Voici ce que contenaient les deux lettres qu’il avait laissées. La première, adressée à Siline, se composait de ces quelques lignes :


« Adieu, mon frère, mon ami, adieu ! Quand tu recevras ce morceau de papier, je n’existerai plus. Ne demande pas comment, pourquoi, —et ne me plains pas ; sois assuré que je suis mieux ainsi. Prends notre immortel Pouchkine, et relis dans Eugène Onéguine la description de la mort de Lenski. Tu te rappelles…