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mit la bouche du revolver contre sa poitrine et pressa la gâchette.

Il éprouva un choc, pas très-fort… et le voilà déjà couché sur le dos ; et il tâche de comprendre ce qui lui est arrivé, et comment il se fait qu’il vient de voir Tatiana… Il veut même l’appeler, dire : « Ah ! ce n’est pas nécessaire ! » Mais déjà il est tout raide et muet. Un tourbillon de fumée verdâtre passe dans ses yeux, sur son visage, sur son front, dans son cerveau, et un poids horrible l’aplatit pour toujours contre la terre.

Ce n’était pas sans raison que Néjdanof avait cru voir Tatiana ; à l’instant même où il lâchait la détente, elle s’approchait d’une des fenêtres de la maisonnette, et l’apercevait sous le pommier.

Elle n’avait pas eu le temps de se dire : « Que fait-il là, sous ce pommier, nu-tête, par un temps pareil ? » quand déjà elle le vit tomber à la renverse, raide et lourd comme une gerbe.

Bien qu’elle n’eût pas entendu le bruit, très-faible, de la décharge, elle sentit aussitôt qu’il se passait quelque chose de mauvais, et se précipita vers l’enclos. Elle courut à Néjdanof.

« Alexis Dmitritch, qu’avez-vous ? »

Mais l’obscurité s’était déjà emparée de son être. Elle se pencha sur lui, et vit du sang.

« Paul ! s’écria-t-elle d’une voix qui n’était plus la sienne, Paul ! »

Quelques instants après, Marianne, Solomine, Paul et deux ouvriers de la fabrique étaient dans l’enclos. Néjdanof fut aussitôt soulevé, porté dans sa chambre et posé sur le divan où il avait passé la dernière nuit.

Il était couché sur le dos, ses yeux à demi ouverts restaient immobiles, son visage était bleuâtre ; il râlait longuement et avec effort, en s’étranglant comme un enfant qui vient de pleurer. La vie ne l’avait pas encore abandonné.

Marianne et Solomine, debout à droite et à gauche