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— Comment ?

— Non, il ne croit pas non plus, mais il n’a pas besoin de cela : il va tranquillement en avant. L’homme qui suit un chemin pour aller à la ville, ne se demande pas si cette ville existe réellement. Il marche, et voilà tout. Ainsi fait Solomine, et il ne faut rien de plus. Moi, je ne peux pas aller en avant ; je ne veux pas retourner en arrière, et rester en place me tue. À qui donc oserais-je demander d’être mon compagnon ? Tu connais le proverbe : Prenez le fardeau chacun par un bout, et tout ira bien ! Mais, si l’un des deux manque de force pour porter le fardeau, que fera l’autre ?

— Alexis, dit Marianne d’un air hésitant, il me semble que tu exagères. En somme, nous nous aimons. »

Néjdanof soupira profondément.

« Marianne, je m’incline devant toi… et tu me plains ; et chacun de nous est convaincu de l’honnêteté de l’autre : voilà la vérité vraie. Quant à de l’amour, il n’y en a pas entre nous.

— Allons donc, Alexis, qu’est-ce que tu dis là ? Oublies-tu qu’aujourd’hui, tout à l’heure, la poursuite va commencer… et que nous devrons nous enfuir ensemble et ne plus nous séparer ?

— Oui, et aller chez le prêtre Zossime pour qu’il nous marie, comme nous l’a proposé Solomine. Je sais bien que ce mariage n’est à tes yeux qu’un passeport, qu’un moyen d’éviter les ennuis dont nous menace la police… Mais enfin, jusqu’à un certain point, il nous obligerait… à la vie en commun, côte à côte, ou, s’il ne nous y obligeait pas, au moins supposerait-il le désir de vivre ensemble.

— Que veux-tu dire, Alexis ? Tu restes donc ici ? »

Néjdanof retint un : Oui, qui était sur ses lèvres, mais il réfléchit et répondit :

« N… non.

— Alors, tu ne vas pas du même côté que moi, en partant d’ici ? »