Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/334

Cette page n’a pas encore été corrigée


— Parle, je t’en prie.

— J’ai pensé que je suis un embarras, pour toi… pour lui… et pour moi-même.

— Pour moi ! pour lui ! Je devine ce que tu veux dire par là, quoique tu prétendes que tu n’es pas jaloux. Mais pour toi-même ?

— Marianne, j’ai en moi deux hommes, dont l’un empêche l’autre de vivre. C’est pourquoi je me dis que tous les deux feraient mieux d’en finir.

— Allons, allons, Alexis, je t’en prie. Quelle idée de te tourmenter ainsi, et moi avec toi ? Ce que nous avons à faire pour le moment, c’est de chercher les mesures à prendre… Tu penses bien qu’on ne va pas nous laisser tranquilles. »

Néjdanof s’empara doucement de son bras.

« Assieds-toi près de moi, Marianne, et causons un peu, comme des amis, pendant que nous en avons le temps. Donne-moi ta main. Il me semble que nous ferions bien de nous expliquer, quoique l’on prétende que toutes les explications ne font qu’embrouiller les questions. Mais tu es intelligente et bonne, tu comprendras tout et tu devineras ce que je n’aurai pas bien expliqué. Assieds-toi. »

La voix de Néjdanof était très-calme, et dans ses yeux, dont le regard ne quittait pas Marianne, se lisait une singulière expression de tendresse amicale et de prière.

Marianne s’assit aussitôt à côté de lui, de bon cœur, et lui prit la main.

« Merci, chère amie. Écoute. Je ne te retiendrai pas longtemps. J’ai déjà préparé dans ma tête, cette nuit, ce que je te dois te dire. Écoute. Ne pense pas que j’aie été trop troublé par ce qui m’est arrivé hier : il est probable que je devais exciter le rire, et même un peu le dégoût ; mais toi, cela va sans dire, tu n’as pensé à mon sujet rien de mauvais ni de bas… tu me connais. —Je viens de te dire que ce qui m’est arrivé hier ne m’avait pas troublé : ce n’est pas exact… c’est faux… j’en ai été fort