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prierai de reconduire M. Markelof. N’est-ce pas, Boris ? tu n’as plus besoin… ? »

Sipiaguine écarta les deux bras.

« J’ai dit tout ce que je pouvais dire.

— Très-bien. Cher baron ! »

L’adjudant s’approcha de Markelof, fit sonner ses éperons l’un contre l’autre, et décrivit avec sa main droite une ligne horizontale et brève qui voulait dire : « S’il vous plaît, marchez ! » Markelof fit un demi-tour et s’éloigna. Pakline, en pensée seulement, il est vrai, lui serra la main avec un sentiment d’amère sympathie et de pitié.

« Et maintenant nous allons lancer nos garçons sur la fabrique, reprit le gouverneur. Seulement écoute, Boris, il me semble que ce monsieur (il montra Pakline d’un mouvement du menton) t’a raconté quelque chose à propos de ta nièce… qu’elle se trouvait là-bas, à cette fabrique… Et alors…

— Il ne faut l’arrêter dans aucun cas, répondit Sipiaguine d’un air profond ; il est possible qu’elle réfléchisse et qu’elle revienne. Si tu le permets, je lui écrirai un petit mot.

— Je t’en prie. Mais en somme tu peux être tranquille… Nous coffrerons le quidam, nous sommes galants avec les dames… et avec celle-là donc !

— Mais vous ne prenez pas de mesures à propos de ce Solomine ! s’écria douloureusement Kalloméïtsef, qui avait tendu l’oreille pendant tout ce petit aparté pour en saisir quelques bribes. — Je vous assure que c’est lui qui est le principal organisateur de l’affaire ! Pour ces choses-là, j’ai un flair… mais un flair !

Pas trop de zèle, très-cher Siméon Pétrovitch, répondit le gouverneur en souriant. — Souvenez-vous de Talleyrand ! S’il y a quelque chose, celui-là ne nous échappera pas non plus. Mais pensez plutôt à votre… (le gouverneur imita le râle d’un homme qui s’étrangle) à votre débiteur. À propos ! reprit-il en se tournant de