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ce moment pour se glisser, trébuchant et clopinant, auprès de Sipiaguine.

« Qu’est-ce que vous faites ? balbutia-t-il ; pourquoi perdez-vous votre nièce ? Vous savez bien qu’elle est avec lui… avec Néjdanof…

— Je ne perds absolument personne, mon cher monsieur, répondit distinctement Sipiaguine ; je fais ce que m’ordonnent ma conscience et…

— Et votre femme, ma sœur, qui vous tient sous sa pantoufle, » acheva Markelof du même ton.

Sipiaguine ne sourcilla pas… Tout cela était tellement au-dessous de lui !

« Écoutez, continua Pakline de la même voix entrecoupée, —tout son cœur tremblait d’émotion et peut-être de crainte, ses yeux brillaient de colère, il avait la gorge serrée par les larmes, — larmes de pitié pour eux, et de dépit contre lui-même… Écoutez : je vous ai dit qu’elle était mariée, ce n’est pas vrai, je vous ai trompé ; mais ce mariage doit se faire, et si vous l’empêchez, si la police descend là-bas, vous aurez sur la conscience une tache que rien ne pourra jamais laver, et vous…

— La nouvelle que vous me communiquez, interrompit Sipiaguine en élevant encore la voix, si tant est qu’elle soit vraie, ce dont j’ai le droit de douter, cette nouvelle ne peut qu’accélérer les mesures que j’ai jugé nécessaire de prendre ; quant à la pureté de ma conscience, je vous prierai, mon cher monsieur, de n’en prendre aucun souci.

— Sa conscience, camarade ? elle est vernie ! interrompit de nouveau Markelof, on y a passé de la laque de Pétersbourg ; rien ne peut y mordre ! Quant à toi, monsieur Pakline, chuchote, chuchote tant que tu voudras : tu ne te « déchuchoteras » jamais ! »

Le gouverneur jugea convenable de mettre fin à tous ces discours.

« Je pense, messieurs, dit-il, que vous vous êtes suffisamment expliqués : c’est pourquoi, cher baron, je vous