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dit Sipiaguine se penchant en ayant de tout son corps, et touchant amicalement du bout du doigt le genou de Néjdanof : — entre gens comme il faut, deux mots suffisent. Je vous propose cent roubles par mois ; les frais de voyage, aller et retour, naturellement à ma charge. — Cela vous va-t-il ? »

Néjdanof rougit de nouveau.

« C’est beaucoup plus que je n’avais l’intention de vous demander… car… je…

— Très-bien ! parfait ! interrompit Sipiaguine. Je regarde l’affaire comme conclue, et vous comme étant de la maison. »

Il se leva de sa chaise avec un air tout joyeux et tout épanoui, comme si on lui eût fait un cadeau. Une sorte de familiarité aimable, presque badine, apparut soudain dans tous ses mouvements.

« Nous partons dans quelques jours, reprit-il d’un ton dégagé ; j’aime à voir arriver le printemps à la campagne, bien que la nature de mes occupations fasse de moi un homme prosaïque, rivé à la ville… Vous me permettrez donc de compter votre premier mois à partir d’aujourd’hui. Ma femme et mon fils sont déjà à Moscou. Elle est partie en avant. Nous les retrouverons à la campagne… dans le sein de la nature. Vous et moi, nous partirons ensemble… en garçons… Hé ! hé !… »

Sipiaguine eut un petit rire bref, partant du nez, très-coquet d’ailleurs.

« Et maintenant… »

Il tira de la poche de son paletot un petit portefeuille noir monté en argent, où il prit une carte de visite.

« Voici mon adresse de Pétersbourg. Venez me voir, voulez-vous, demain, vers midi ? Nous causerons encore un peu. Je vous développerai quelques idées que j’ai sur l’éducation… Et puis nous fixerons le jour de notre départ. »

Sipiaguine prit la main de Néjdanof.

« À propos, ajouta-t-il en baissant la voix d’un air