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ne sont nullement en contradiction avec les miennes ; — j’ajouterai même qu’elles me plaisent par leur ardeur juvénile. »

Sipiaguine parlait sans la plus légère hésitation ; ses périodes arrondies et moelleuses coulaient, selon l’expression russe, « comme du miel sur de l’huile. »

« Ma femme partage ma manière de voir, continua-t-il ; peut-être même ses opinions se rapprochent-elles plus des vôtres que des miennes ; c’est tout simple, elle est plus jeune que moi. Lorsque, le lendemain de notre entrevue, j’ai lu dans les journaux votre nom, que, par parenthèse, j’avais appris au théâtre, et que vous avez publié, contre l’usage ordinaire, en même temps que votre adresse, — ce fait m’a frappé. J’ai vu là-dedans, — dans cette coïncidence, — une sorte de… pardonnez ce qu’il y a de superstitieux dans mon expression… une sorte d’arrêt de la destinée. — Vous me parlez de recommandations. Votre extérieur, votre personnalité éveillent ma sympathie ; cela me suffit. J’ai l’habitude de me fier à mon coup d’œil. Ainsi je puis espérer… Vous consentez ?

— Je consens, certainement… répondit Néjdanof, et je m’efforcerai de justifier votre confiance. Cependant permettez-moi de vous avertir, dès à présent, que je suis prêt à être le professeur de votre fils, mais non son gouverneur. Je n’ai pas les aptitudes d’un gouverneur, et puis, je ne veux pas me lier, je ne veux pas renoncer à ma liberté. »

Sipiaguine fit avec la main le geste de chasser une mouche.

« Soyez tranquille, mon très-cher monsieur Néjdanof… Vous n’êtes pas du bois dont on fait les gouverneurs ; et, du reste, ce n’est pas d’un gouverneur que j’ai besoin. Je cherche un professeur, et je l’ai trouvé. Et maintenant, les conditions ? Les conditions pécuniaires ? Le vil métal ? »

Néjdanof, embarrassé, hésitait.

« Écoutez,