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réellement… très-obligé. Hier soir, j’ai pu vous paraître un peu tranchant… ce qui n’est pas dans… mon caractère. (C’était avec intention que Sipiaguine coupait ainsi irrégulièrement ses phrases.) J’ose vous l’affirmer. Mais, monsieur Pakline, mettez-vous un peu dans ma… position. (Sipiaguine fit rouler son cigare dans l’autre coin de sa bouche.) La situation que j’occupe me met… comment vous dire ? en vue ; et voilà que tout à coup… le frère de ma femme… se compromet… et me compromet… moi aussi, de la façon la plus incroyable ! Qu’en dites-vous, monsieur Pakline ? Vous pensez peut-être que ce n’est pas une grosse affaire ?

— Je ne pense pas cela, Votre Excellence.

— Vous ne savez pas au juste pourquoi ni où on l’a arrêté ?

— J’ai entendu dire que c’était dans le district de T…

— Qui est-ce qui vous l’a dit ?

— C’est… c’est un monsieur.

— Naturellement ce n’est pas un oiseau. Mais quel est ce monsieur ?

— L’aide du gérant d’affaires de la chancellerie du gouverneur.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Le gérant ?

— Non, l’aide.

— Il s’appelle Ouliachévitch. C’est un employé très-consciencieux, Votre Excellence. Aussitôt que j’ai eu appris cet événement, je me suis hâté d’aller vous voir.

— Oui, oui, parfaitement. Et je vous répète que je vous en suis très-reconnaissant. Mais quelle folie ! car c’est de la folie, n’est-ce pas, monsieur Pakline, n’est-ce pas ?

— De la folie toute pure ! s’écria Pakline, qui sentait la sueur glisser comme un serpent tiède et mince le long de son épine dorsale. C’est ce qui s’appelle ne pas comprendre du tout notre paysan russe. M. Markelof, autant