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Sipiaguine apparut sur le perron, enveloppé dans un manteau de camelot à col arrondi. Personne ne portait plus de manteau de ce genre depuis fort longtemps, à l’exception d’un très-haut personnage auquel Sipiaguine faisait la cour, et qu’il s’efforçait d’imiter. Dans les occasions officielles et importantes, il ne manquait jamais de mettre ce manteau.

Il salua Pakline d’un air assez aimable, et, lui montrant d’un geste énergique les coussins de la voiture, il le pria de s’y asseoir.

« Monsieur Pakline, vous venez avec moi, monsieur Pakline ! Mettez sur le siège le sac de voyage de M. Pakline ! J’emmène M. Pakline ! disait-il, en appuyant sur la lettre a du mot Pakline. « Ah ! semblait-il vouloir dire, tu es affligé d’un pareil nom, et tu te fâches parce qu’on te le change ? Tiens ! manges-en ! Gorge-t’en ! » M. Pakline ! Pakline ! Ce malheureux nom retentissait sans relâche dans l’air frais du matin.

Cet air était si frais, que Kalloméïtsef, sorti à la suite de Sipiaguine, fit plusieurs, fois en français : « Brrr ! brrr ! brrr !… et qu’il s’enveloppa plus étroitement dans son manteau en se plaçant dans son élégante calèche découverte. (Son pauvre ami, le prince Michel Obrénovitch de Serbie, en voyant cette calèche, s’en était acheté une toute pareille chez Binder. Vous savez, Binder, le grand carrossier des Champs-Élysées.)

Pendant ce temps, Valentine, « en bonnet et en fichu de nuit »[1], regardait à travers les volets entre-bâillés.

Sipiaguine se mit en voiture, et lui envoya un salut de la main.

« Êtes-vous bien à votre aise, monsieur Pakline ? En route !

— Je vous recommande mon frère, épargnez-le, lui cria Valentine.

  1. Vers de Pouchkine.