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Sipiaguine se leva brusquement de son fauteuil.

« Chez M. Néjdanof. Je me souviens à présent. Ce n’est pas de sa part, j’espère, que vous venez ?

— Du tout, Votre Excellence ; au contraire… je… »

Sipiaguine se rassit.

« Et vous faites bien, car dans ce cas je vous aurais prié de vous retirer immédiatement. Aucun médiateur ne peut être toléré entre moi et M. Néjdanof ! M. Néjdanof m’a fait une de ces injures qui ne s’oublient pas… Je dédaigne la vengeance ; mais je ne veux rien savoir ni de lui, ni de cette jeune fille —du reste plus dépravée d’esprit que de cœur (Sipiaguine répétait cette phrase-là pour la trentième fois au moins, depuis la fuite de Marianne) — qui n’a pas craint d’abandonner le toit où on lui donnait asile, pour devenir la maîtresse d’un vagabond sans naissance ! Qu’il leur suffise que je les oublie ! »

Sur ce dernier mot, il fit de la main un geste de bas en haut, comme s’il éloignait quelque chose.

« Je les oublie, monsieur ! répéta-t-il.

— Votre Excellence, j’ai eu l’honneur de vous assurer que je ne venais pas du tout de leur part, quoique je puisse d’ailleurs faire savoir à Votre Excellence qu’ils sont déjà unis par les liens légitimes du mariage… (Bah ! pensa-t-il, j’ai dit que je conterais des sornettes… voilà qui est fait ! Arrive que pourra !) »

Sipiaguine roula sa nuque à droite et à gauche sur le dossier de son fauteuil.

« Cela ne m’intéresse pas le moins du monde, mon cher monsieur. Un sot mariage de plus sur la terre, voilà tout ! Mais, dans tout cela, où est donc cette affaire tellement urgente à laquelle je dois le plaisir de votre visite ?

« Attends, maudit directeur de département ! pensa encore Pakline. Je vais t’apprendre à faire de tes manières, espèce de museau anglais !

« Le frère de votre épouse, dit-il tout haut, M. Markelof, a été pris par des paysans qu’il essayait de soulever,