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toi ? Regrettes-tu nos espérances perdues ? Mais tu ne pouvais pas t’imaginer que tout irait comme sur de l’huile ! »

Néjdanof releva brusquement la tête.

« Non, Marianne, dit-il, en refoulant ses sanglots, je n’ai peur ni pour toi, ni pour moi… mais, en effet, je plains…

— Qui ?

— Toi, Marianne ! toi, qui as uni ta destinée à celle d’un homme qui ne le méritait pas.

— Pourquoi donc ?

— Mais… tiens, par exemple, parce qu’en un moment comme celui-ci, cet homme peut pleurer.

— Ce n’est pas toi qui pleures, ce sont tes nerfs.

— Mes nerfs et moi, c’est tout un. Voyons, Marianne ; regarde-moi dans les yeux : est-ce que véritablement tu peux me dire, en ce moment-ci, que tu ne te repens pas ?…

— De quoi ?

— De t’être enfuie avec moi.

— Non.

— Et tu me suivras encore ? Partout ?

— Oui !

— Vraiment, Marianne… oui ?

— Oui. Je t’ai donné ma main, et, tant que tu seras celui que j’ai aimé, je ne la retirerai pas. »

Néjdanof était toujours assis sur sa chaise ; Marianne se tenait debout devant lui. Il avait les mains passées autour de la taille de la jeune fille, qui appuyait les siennes sur les épaules du jeune homme.

« Oui… non… pensa Néjdanof ; et pourtant, autrefois, quand il m’arrivait de la tenir dans mes bras, comme en ce moment, son corps au moins restait immobile ; tandis qu’à présent, je le sens qui tout doucement, peut-être malgré elle, fuit, et s’éloigne de moi ! »

Il desserra ses bras… Et, en effet, Marianne fit un mouvement presque imperceptible en arrière.

« É