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XXXIII


« Je suis un ami de votre mari, dit Pakline en s’inclinant profondément devant Marianne, comme pour essayer de lui cacher son visage bouleversé par l’inquiétude et la frayeur, et je suis aussi un ami de Solomine. Néjdanof dort, il est malade, à ce que j’apprends ; moi, malheureusement, j’apporte de mauvaises nouvelles, que j’ai déjà eu le temps de communiquer en partie à Solomine, et à la suite desquelles il faudra prendre certaines mesures décisives. »

La voix de Pakline se brisait constamment comme celle d’un homme que tourmente la soif et qui a la bouche sèche.

Les nouvelles qu’il apportait étaient en effet fort mauvaises. Markelof, saisi par des paysans, avait été conduit par eux à la ville. Le commis de Golouchkine avait dénoncé son maître, qu’on avait arrêté. Golouchkine, à son tour, dénonçait tout le monde, racontait tout ce qu’il savait ; il proposait de se convertir à la religion grecque, et faisait cadeau à un gymnase du portrait du métropolitain Philarète ; il avait déjà envoyé cinq mille roubles pour être distribués aux « guerriers invalides ». On ne pouvait douter un seul instant qu’il n’eût dénoncé Néjdanof. D’un moment à l’autre, la police pouvait faire une descente à la fabrique.

Solomine aussi était en danger.

« Quant à moi, ajoutait Pakline, une seule chose m’étonne, c’est que je puisse encore me promener librement ; il est vrai que je ne me suis jamais occupé sérieusement de politique, et que je n’ai pris part à aucun conciliabule. Bref, j’ai profité de l’oubli ou de la négligence de la police pour venir vous mettre au courant et pour