Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/289

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas la jalousie qui est cause de tout cela ?… Mais, se rappelant la figure de la pauvre Machourina, elle haussa les épaules, et fit un geste de la main comme si elle écartait quelque chose, non pas en réalité, mais par un mouvement de la pensée qui y correspondait.

Marianne eut longtemps à attendre : enfin elle entendit le bruit des pas de deux personnes qui montaient dans l’escalier. Elle attacha ses regards sur la porte, les pas se rapprochèrent. La porte s’ouvrit, et Néjdanof soutenu sous le bras par Paul, apparut sur le seuil.

Il était d’une pâleur mortelle, sans casquette ; ses cheveux en désordre pendaient en mèches humides sur son front ; ses yeux regardaient devant lui sans rien voir. Paul lui fit traverser la chambre (Néjdanof traînait ses jambes presque inertes et fléchissantes) et le fit asseoir sur le divan.

Marianne bondit de sa chaise.

« Qu’est-ce que c’est ? Que lui arrive-t-il ? Est-il malade ? ».

Mais Paul, après avoir assis Néjdanof, lui répondit avec un sourire, en la regardant par-dessus son épaule :

« Ne vous inquiétez pas, ça va passer… C’est seulement faute d’habitude.

— Mais qu’est-ce que c’est ? insista Marianne.

— Il s’est un petit peu grisé. Il a bu à jeun ; voilà. »

Marianne se pencha sur Néjdanof. Il était à demi couché en travers du divan ; sa tête pendait sur sa poitrine, ses yeux flottaient, son haleine sentait l’eau-de-vie : il était ivre.

« Alexis ! » s’écria-t-elle involontairement.

Il souleva avec effort ses paupières alourdies et essaya de sourire :

« Ah ! Marianne ! balbutia-t-il, tu répétais toujours… sim… simpli… simplifiés ; à présent, me voilà tout à fait simplifié. Comme notre peuple est toujours gris… tu comprends… »

Il s’interrompit, puis murmura encore quelques mots