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Solomine se leva, et sortit.

Machourina se mit à regarder Marianne, si longuement, que celle-ci finit par se sentir mal à l’aise.

« Excusez-moi, dit-elle tout à coup de sa voix rude et saccadée, —je suis toute simple, je ne sais pas m’y prendre… Ne vous fâchez pas, et, si vous voulez, ne me répondez pas. C’est vous qui êtes la demoiselle qui s’est sauvée de chez les Sipiaguine ? »

Marianne, quelque peu interloquée, répondit pourtant :

« C’est moi.

— Avec Néjdanof ?

— Mais oui.

— Permettez… Donnez-moi la main ! Excusez-moi, je vous prie. Vous devez être bonne, puisqu’il vous aime. »

Marianne serra la main à Machourina, en lui disant :

« Vous le connaissez intimement ?

— Je le connais. Je le voyais à Pétersbourg. C’est pour ça que je vous parle de lui. Markelof aussi m’a dit…

— Ah ! Markelof ? Est-ce que vous l’avez vu depuis peu ?

— Depuis peu. En ce moment, il n’est pas chez lui.

— Où est-il allé ?

— Où on lui a ordonné d’aller. »

Marianne soupira.

« Ah ! madame Machourina, j’ai peur pour lui.

— D’abord je ne suis pas une dame. Il faut jeter de côté ces façons-là. Et puis… ne dites pas « j’ai peur. ». Ça non plus ne convient pas. N’ayons pas peur pour nous, et nous n’aurons pas peur pour les autres. Il ne faut pas du tout songer à soi, ni craindre pour soi. Tout ça est inutile ; mais je réfléchis… Je réfléchis que ça ne m’est pas difficile, à moi Machourina, de parler ainsi. Je suis laide, moi. Mais vous… vous êtes jolie. Donc, tout ça vous est beaucoup plus difficile. (Machourina baissa