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Néjdanof sortit dans le corridor, sans dire adieu. Paul surgit d’un coin obscur, et courut en avant dans l’escalier, en faisant résonner ses bottes ferrées. C’était lui qui devait conduire Néjdanof.

Solomine s’assit à côté de Marianne.

« Vous avez entendu ce que vient de dire Néjdanof ?

— Oui ; il est fâché de ce que je vous obéis plus qu’à lui. C’est vrai. Je l’aime, lui, mais c’est vous que j’écoute. Il m’est plus cher, et vous m’êtes plus proche. »

Solomine lui caressa doucement la main.

« C’est une affaire extrêmement désagréable, dit-il enfin. Si Markelof y est mêlé, il est perdu. »

Marianne tressaillit.

« Perdu ?

— Oui. Il ne fait jamais rien à moitié, il ne se cachera pas derrière les autres.

— Perdu ! murmura de nouveau Marianne, et des larmes roulèrent sur son visage. Ah ! Solomine, que je le plains ! mais pourquoi ne triompherait-il pas ? pourquoi doit-il nécessairement périr ?

— Parce que, dans des entreprises de ce genre, même si elles réussissent, les premiers succombent toujours. Mais, dans celle qu’il vient de tenter, ce n’est pas seulement ceux du premier ou du second rang qui périront, c’est aussi ceux du dixième… et du vingtième…

— Alors nous n’arriverons jamais ?

— À ce que vous rêvez ? jamais. Nous ne verrons pas cela avec nos yeux, avec les yeux du corps. Oh ! avec ceux de l’esprit, c’est une autre affaire… Nous pouvons nous donner le plaisir de le voir. Là il n’y a pas de contrôle.

— Mais alors, Solomine, dites-moi…

— Quoi ?

— Pourquoi marchez-vous dans ce chemin-là ?

— Parce qu’il n’y en a pas d’autre ! Pour parler plus exactement, Markelof et moi avons le même but, mais nos chemins sont différents.