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Du reste, Solomine aussi avait changé pendant ces quinze jours ; son teint avait jauni, sa figure s’était tirée, sa lèvre supérieure, légèrement soulevée, laissait voir ses dents… Lui aussi paraissait troublé, autant que pouvait se troubler son « âme équilibrée ».

« Markelof n’a pas pu se tenir, dit-il. Cela peut finir mal, pour lui d’abord… et pour d’autres…

— Je veux aller voir ce qu’il y a… interrompit Néjdanof.

— Moi aussi, » ajouta Marianne apparaissant sur le seuil de la porte.

Solomine se tourna lentement vers elle.

« Je ne vous le conseillerais pas, Marianne. Vous pouvez vous trahir, et nous avec, sans le vouloir et sans la moindre nécessité. Que Néjdanof aille flairer cela d’un peu près, pas de trop près, s’il veut ! Mais vous, pourquoi ?

— Je ne veux pas le laisser partir seul.

— Vous le gênerez… »

Marianne jeta un regard sur Néjdanof. Il se tenait debout, immobile, le visage immobile aussi, l’air morne.

« Mais s’il y a du danger ? » répliqua-t-elle.

Solomine sourit.

« Soyez tranquille ; quand il y aura du danger, je vous laisserai partir. »

Marianne ôta le foulard qui lui couvrait la tête, et s’assit.

Alors Solomine se tournant vers Néjdanof :

« Et toi, camarade, lui dit-il, sérieusement, réfléchis un peu. Il est possible que tout cela soit exagéré. En tout cas, je t’en prie, sois prudent. Je vais te donner quelqu’un pour te conduire. Reviens promptement. Tu le promets, Néjdanof ? Tu le promets ?

— Oui.

— Bien sûr ?

— Puisque tout le monde ici t’obéit, à commencer par Marianne ! »