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Elle sortit ; mais, au bout de quelques moments, sa porte s’entr’ouvrit légèrement, et, à travers l’étroite ouverture, une voix dit :

« Bonsoir !… puis, plus doucement : bonsoir ! »

Et la clef tourna dans la serrure.

Néjdanof se laissa tomber sur le divan et cacha son visage dans sa main. Puis, tout à coup il se leva, marcha vers la porte et frappa :

« Qu’est-ce que c’est ? dit la voix de Marianne.

— Je ne te dis pas à demain, Marianne… mais demain !

— Demain, » répondit doucement la voix.


XXIX


Le lendemain, de grand matin, Néjdanof frappa encore à la porte de Marianne.

« C’est moi ! répondit-il à la question : Qui est là ? Peux-tu venir ?

— Attends… tout de suite. »

Elle sortit, et poussa une exclamation de surprise. Au premier abord elle ne l’avait pas reconnu. Il était vêtu d’un vieux caftan de nankin jaunâtre, à taille courte et à tout petits boutons ; ses cheveux étaient arrangés à la russe, avec la raie au milieu ; il avait noué autour de son cou un mouchoir bleu ; il tenait à la main une casquette dont la visière était cassée ; enfin il avait pour chaussures des bottes non cirées, en peau de bouvillon.

« Mon Dieu ! s’écria Marianne, comme tu es laid ! » — Puis aussitôt elle lui jeta vivement les bras autour du cou, et l’embrassa encore plus vivement. — « Mais pourquoi as-tu choisi ce costume-là ? Tu as l’air d’un pauvre petit bourgeois de la ville… ou d’un colporteur… ou d’un domestique mis à la retraite. Pourquoi ce caftan, et