Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Qu’ils aillent au diable ! Je me sauve ! » se dit Pakline.

Il était venu chez Néjdanof pour lui faire part de ses idées au sujet de l’introduction en Russie d’exemplaires de l’Étoile polaire (la Cloche n’existait déjà plus à cette époque), mais la conversation ayant pris un tour si défavorable, il jugea plus prudent de ne pas soulever cette question.

Il prenait déjà son chapeau, quand tout à coup, sans qu’aucun bruit préalable eût averti nos jeunes gens, une voix se fit entendre dans l’antichambre :

« M. Néjdanof est-il chez lui ? »

C’était une voix de baryton très-agréable et étoffée, dont le timbre éveillait dans l’esprit des idées de suprême distinction, d’élégance parfaite, voire même de parfums exquis.

Les jeunes gens s’entre-regardèrent avec stupeur.

« Monsieur Néjdanof est-il chez lui ? répéta la voix.

— Oui, » répondit enfin Néjdanof.

Le porte s’ouvrit discrètement, d’un mouvement égal et souple, et sur le seuil apparut un homme d’environ quarante ans, grand de taille, bien fait, presque majestueux, qui, ôtant sans précipitation son chapeau admirablement lustré, découvrit une belle tête aux cheveux coupés ras. Vêtu d’un superbe paletot de drap anglais dont le collet, quoique avril touchât à sa fin, était garni d’une riche fourrure de castor, le visiteur frappa tout le monde, Néjdanof, Pakline, Machourina elle-même — mieux que cela, Ostrodoumof !  — par la noble assurance de son allure et l’aimable sérénité de son abord.

Involontairement tous se levèrent en le voyant paraître.