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Marianne écoutait attentivement ses récits. Néjdanof, assis un peu à l’écart, regardait sa compagne et n’était pas surpris de cette attention ; pour Marianne, tout cela était nouveau ; —quant à lui, il lui semblait avoir vu des centaines de Tatiana pareilles à celle-là et avoir cent fois causé avec elles.

« Écoutez, Tatiana Ossipovna, dit Marianne à un certain moment, vous pensez que nous voulons instruire le peuple ; non, nous voulons le servir.

— Comment, le servir ? Enseignez-le, voilà votre service. Tenez, moi, par exemple, quand je me suis mariée, je ne savais ni lire ni écrire, et je sais à présent, grâce à Vassili Fédotytch ! Ce n’est pas lui qui me l’a appris, il a payé un vieux bonhomme qui m’a tout montré. Eh ! je suis encore jeune, quoique grande ! »

Marianne resta un moment silencieuse.

« Je voudrais, reprit-elle, apprendre quelque métier… Mais nous reparlerons de cela et plus d’une fois. Je suis une piètre couturière : si j’apprenais un peu de cuisine, je pourrais me faire cuisinière. »

Tatiana s’étonna.

« Cuisinière ! comment ? mais les cuisinières vivent chez les gens riches, chez les marchands ! Et les pauvres font la cuisine eux-mêmes. Dans un « artel », peut-être, chez des travailleurs ? Oh ! il n’y a pas de plus triste métier !

— Et quand même je serais chez des riches, pourvu que je me rencontre avec des pauvres. Sans ça, où irais-je les chercher ? Je n’aurai pas toujours une occasion comme celle d’aujourd’hui, avec vous ! »

Tatiana remit sa tasse dans la soucoupe, l’ouverture en bas.

« Ça n’est pas une affaire facile, dit-elle enfin avec un sourire ; on ne tourne pas ça autour du doigt comme un brin de fil. Ce que je sais moi-même, je vous le montrerai ; mais je ne suis pas une grande savante, moi ! Parlez-en à mon mari. Lui, c’est une autre affaire. Il lit