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— Bon, tout ça peut se faire, mademoiselle… Ne vous fâchez pas, je ne le dirai plus, je ne vous dirai plus mademoiselle. Mais comment faut-il vous appeler ?

— Marianne.

— Et le petit nom de votre père ?

— Mais à quoi bon le prénom de mon père ? Appelez-moi tout simplement Marianne. Je vous appelle bien Tatiana !

— Tout de même… ça n’est pas la même chose. Dites-moi plutôt son petit nom.

— Allons, soit. Mon père s’appelait Vikenti. Et le vôtre ?

— Le mien ? Ossip[1].

— Eh bien, je vous appellerai Tatiana Ossipovna.

— Et moi, je vous appellerai Marianne Vikentievna[2]. Ça sera tout à fait bien.

— Vous prendrez le thé avec nous, Tatiana Ossipovna ?

— Pour le premier jour, ça ne se refuse pas, Marianne Vikentievna ; une petite tasse.

— Asseyez-vous, Tatiana Ossipovna.

— Je veux bien, Marianne Vikentievna. »

Tatiana s’assit et prit son thé à la façon du peuple russe ; elle tournait constamment entre ses doigts un petit morceau de sucre qu’elle croquait par bribes en clignant de l’œil du côté où elle mordait.

Marianne entra en conversation avec elle. Tatiana répondait sans timidité, interrogeait elle-même et racontait. Elle parla de Solomine presque comme d’un dieu, et plaça son mari au premier rang après Solomine. Toutefois, la vie de fabrique lui pesait.

« Ce n’est pas la ville, ici, disait-elle, et ce n’est pas le village. Sans M. Solomine, je n’y resterais pas une heure ! »

  1. Vikenti, Vincent. — Ossip, Joseph.
  2. L’adjonction du nom patronymique à un prénom, en Russie, équivaut à celle de « monsieur » ou « mademoiselle » dans le reste de l’Europe.