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Après avoir écrit ces quelques lignes, Néjdanof s’en alla du côté du village.

La nuit suivante, au moment où l’aurore commençait à poindre, il attendait sur la lisière du bois de bouleaux, non loin de la maison de Sipiaguine. Un peu en arrière, à travers le fouillis de verdure d’un large buisson de noisetiers, on entrevoyait une télègue de paysan, attelée de deux chevaux débridés ; sous le siège, formé de cordes entre-croisées, dormait un vieux petit moujik tout gris, sur une poignée de foin, la tête cachée dans une souquenille rapiécée.

Néjdanof regardait obstinément du côté de la route, vers le massif de saules qui bordait le jardin ; la nuit, grise et calme, s’étendait encore à l’entour ; quelques petites étoiles, perdues dans le vide profond du ciel, clignotaient faiblement tour à tour. Le long des bords arrondis des nuages qui moutonnaient étendus travers le ciel, arrivait, en glissant du côté de l’orient, une pâle rougeur, et du même point arrivait aussi le petit froid acide du premier matin.

Tout à coup Néjdanof tressaillit et se redressa : quelque part, près de lui, une porte de jardin avait grincé, puis était retombée ; une mignonne figure de femme, le haut du corps enveloppé d’un grand mouchoir, tenant un petit paquet au bout de son bras nu, sortit sans se hâter de l’ombre immobile des saules, sur la molle poussière du chemin, et, l’ayant traversée sur la pointe des pieds, se dirigea vers le petit bois.

Néjdanof s’élança à sa rencontre.

« Marianne ! murmura-t-il.

— C’est moi, répondit tout bas une voix de dessous le mouchoir qui retombait sur le visage.

— Par ici, suis-moi, » dit Néjdanof en la prenant maladroitement par le bras nu qui portait le sac.

Elle eut un frisson de petite mort, et serra les coudes.

Il la conduisit à la télègue et réveilla le paysan. Celui-ci se releva vivement, passa sur le devant du véhicule,