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charmant, bien qu’un peu altéré et marbré de taches rouges, et des yeux superbes, doux comme du velours.

« Moi ? moi, méchante ? pensa-t-elle. Avec ces yeux-là ? »

Mais en ce moment, son mari entra, et elle plongea de nouveau son visage dans son mouchoir.

« Qu’as-tu ? lui demanda-t-il avec sollicitude. Qu’as-tu, Valia ? » (Il avait inventé pour elle ce diminutif de Valentine, et il ne se permettait de l’employer que dans le tête-à-tête le plus absolu ; de préférence, à la campagne.)

Elle commença par dire qu’elle n’avait rien du tout, mais finalement, se retournant sur son fauteuil, d’un mouvement gracieux et touchant, elle lui jeta les deux mains sur les épaules (il était debout, penché sur elle) ; elle cacha son visage dans l’échancrure de son gilet et lui raconta tout, bien sincèrement, sans arrière-pensée, sans le moindre détour ; elle tâcha même, sinon de disculper Marianne, au moins de l’excuser dans une certaine mesure ; elle rejeta toute sa faute sur sa jeunesse, sur son tempérament passionné, sur les défauts de sa première éducation ; jusqu’à un certain point aussi, et avec la même absence d’arrière-pensée, elle s’accusa elle-même : « Si elle avait été ma fille, cela ne serait pas arrivé ! Je l’aurais surveillée davantage. »

Sipiaguine l’écouta jusqu’au bout d’un air sympathique et condescendant, mêlé de quelque sévérité ; il se tint courbé en deux, tant qu’elle ne retira pas ses mains et sa tête, il l’appela ange, la baisa au front, lui déclara qu’il savait maintenant quelle ligne de conduite lui était tracée par son rôle de maître de maison, et il s’éloigna comme s’éloigne un homme humain, mais énergique, qui se prépare à remplir un devoir désagréable, mais nécessaire.

Entre sept et huit heures, après le dîner, Néjdanof, dans sa chambre, écrivait à son ami Siline.

« Mon cher Vladimir, je t’écris à l’heure d’un changement