Page:Tourgueniev, Terres Vierges, ed. Hetzel.djvu/232

Cette page n’a pas encore été corrigée

une feuille de géranium… Les yeux de Marianne étaient fixés tout droit sur ce visage souriant qui se rapprochait d’elle.

Mme  Sipiaguine s’arrêta la première, et, tambourinant du bout des doigts sur le dos d’une chaise :

« Mademoiselle Marianne, dit-elle négligemment, il me semble que nous voilà en correspondance réglée… Pour deux personnes qui vivent sous le même toit, c’est assez bizarre, et vous savez que j’ai peu de goût pour les bizarreries.

— Ce n’est pas moi, madame, qui ai entamé cette correspondance.

— Oui… vous avez raison. Pour cette fois, c’est moi qui suis coupable de bizarrerie. Mais je n’ai pas trouvé d’autre moyen pour réveiller en vous le sentiment… comment vous dire ?… le sentiment…

— Parlez hardiment ; ne vous gênez pas ; ne craignez pas de me blesser.

— Le sentiment… des convenances. »

Valentine se tut. On n’entendait plus dans le salon que le léger choc de ses doigts sur le dossier de la chaise.

« En quoi trouvez-vous que j’aie manqué aux convenances ? » répliqua Marianne.

Valentine haussa les épaules.

« Ma chère, vous n’êtes plus une enfant, et vous me comprenez fort bien. Vous figurez-vous peut-être que votre conduite ait pu rester un secret pour moi, pour Anna, pour toute la maison, enfin ? Du reste, vous ne vous êtes guère inquiétée de la tenir secrète. Vous avez tout simplement bravé tout. —Mon mari seul, peut-être, n’a rien remarqué jusqu’à présent. Il a d’autres préoccupations, plus intéressantes pour lui et plus importantes. Mais, lui excepté, tout le monde connaît votre conduite, tout le monde ! »

Marianne pâlissait de plus en plus.

« Je vous prierai, madame, de vous expliquer plus