— Eh ! certainement tu es un aristocrate… jusqu’à un certain point. »
Néjdanof eut un rire forcé.
« Tu fais allusion à ma naissance irrégulière. Tu prends une peine inutile, mon cher… Je n’ai pas besoin de toi pour m’en souvenir. »
Pakline frappa dans ses mains.
« Voyons, Alexis, quelle mouche te pique ? Comment peux-tu prendre ainsi mes paroles ? Je ne te reconnais pas aujourd’hui. — Néjdanof fit de la tête et des épaules un mouvement d’impatience. — L’arrestation de Bassanof t’a bouleversé… Mais aussi il se conduisait si imprudemment…
— Il disait tout haut ses opinions ! fit observer Machourina d’un air sombre. Ce n’est pas à nous de le blâmer.
— Fort bien ; mais il aurait pu songer aux autres qu’il compromet peut-être maintenant.
— Pourquoi pensez-vous cela de lui ? mugit à son tour Ostrodoumof. Bassanof est un caractère énergique ; il ne livrera personne ! Et quant à la prudence… voulez-vous que je vous dise ? Il n’est pas donné à tout le monde d’être prudent, monsieur Pakline ! »
Pakline, blessé, voulut répondre, mais Néjdanof lui coupa la parole.
« Messieurs, s’écria-t-il, croyez-moi, laissons en paix la politique pour quelque temps. »
Il y eut un silence. Ce fut de nouveau Pakline qui ranima la conversation.
« J’ai rencontré ce matin Skoropikhine, le grand critique esthétique de toutes les Russies. Quel personnage insupportable ! Toujours bouillonnant, écumant, pétillant ! On dirait une bouteille de mauvais kislistchi[1]… Le garçon qui l’a servie se hâte de la boucher avec son doigt
- ↑ Kislistchi, boisson fermentée et très-gazeuse, qui contient des raisins secs, du sucre, etc.