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vu, dans sa vie, beaucoup d’hommes comme lui, blonds, maigres et musculeux.

Mais, à mesure qu’elle le regardait et qu’elle écoutait ses discours, elle sentait grandir en elle un sentiment de confiance ; c’était bien de la confiance et pas autre chose qu’il lui inspirait. Cet homme à l’air tranquille, non pas gauche, mais un peu lourd, ne pouvait être ni menteur, ni vantard, et l’on devait pouvoir s’appuyer sur lui comme sur un mur de pierre. Il ne trahirait pas ; mieux que cela : il saurait vous comprendre et vous soutenir. Marianne finit par se persuader que Solomine devait faire naître cette impression non-seulement chez elle, mais chez tous ceux qui étaient présents. Elle n’attribuait pas une importance particulière à ce qu’il disait ; toutes ces discussions au sujet des fabriques et des marchands ne l’intéressaient guère ; mais ce qui lui plaisait extrêmement, c’était la façon dont il disait ces choses, c’était le regard, le sourire dont il les accompagnait.

C’était un homme véridique… voilà ce qui était l’important à ses yeux, voilà ce qui la touchait.

Chose certaine, quoique difficile à expliquer, les Russes sont les gens les plus perdus de mensonge du monde entier, et ils n’aiment, ils n’estiment rien tant que la vérité. En outre, aux yeux de Marianne, Solomine était ceint d’une espèce d’auréole… il était de ceux que Vassili Nikolaïévitch recommandait à ses adhérents.

Pendant le dîner, Marianne avait échangé, « à son sujet », des regards avec Néjdanof, et, vers la fin du repas, elle se surprit à faire entre eux une comparaison —qui n’était pas à l’avantage de Néjdanof.

Néjdanof, il est vrai, avait les traits beaucoup plus fins et plus agréables ; mais son visage exprimait un mélange de sentiments inquiets : du dépit, du trouble, de l’impatience… et même un certain abattement ; il avait l’air d’être assis sur des aiguilles ; il essayait de parler, et il se taisait brusquement ; son rire était forcé…